Une éducation sexuelle spécifique dans l’enseignement catholique ?

samedi 8 mai 2010


Pour la première fois de son histoire, l’enseignement catholique a promulgué le 16 avril un document consacré à « l’éducation affective, relationnelle et sexuelle dans les établissements catholiques d’enseignement » (1).

Pour apprécier l’événement, il faut savoir que lorsque la question de l’éducation sexuelle à l’École a été posée dans les années qui ont suivi Mai 68, certaines fédérations de parents d’élèves sont alors montées au créneau avec des attendus significatifs...

(1) Texte de Claude Lelièvre, historien de l’éducation

... Ainsi la Fédération de Paris des Associations de parents d’élèves de l’enseignement libre a incriminé « le processus inéluctable qui transforme le projet de l’Éducation nationale en une vaste entreprise de libération sexuelle » (communiqué du 20 février 1973).

Et l’Union nationale des associations des parents d’élèves autonomes a tenu à distinguer « l’information sexuelle » qui peut être donnée à l’école à condition qu’elle ne fasse pas intervenir de jugement moral, et « l’éducation sexuelle » qui est liée à des options philosophiques et religieuses ; en concluant qu’ « une éducation sexuelle à l’école qui respecte le principe de laïcité est impossible » (communiqué du 29 janvier 1973).

Finalement, le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Joseh Fontanet – un ‘’démocrate chrétien’’ – a décidé en juillet 1973 d’opérer un clivage fondamental entre « l’information sexuelle » (obligatoire, intégrée aux programmes, pour tous les élèves) et « l’éducation sexuelle » (facultative, soumise à l’autorisation des parents pour le premier cycle).

Il y a sans doute plusieurs raisons qui ont amené l’enseignement catholique a élaborer ce document d’ « orientation » de 45 pages issu de dix-huit mois de travail d’une commission présidée par son secrétaire général adjoint, Claude Berruer. Mais on peut penser que la principale se trouve dans le fait que le ministère de l’Éducation nationale a décidé en 2003 que l’ « éducation sexuelle » (et non seulement « l’information sexuelle ») devait être désormais obligatoire.

La circulaire du 17 février 2003 indique que la loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception a « confié à l’école une mission éducative dans le champ bien spécifique de l’éducation à la sexualité ». Et cette circulaire précise que cela implique « une nécessaire cohérence entre les adultes participant au respect des lois et des règle de vie en commun qui s’exercent aussi bien dans le cadre de la mixité que de la lutte contre les violences sexistes et homophobes contraires aux droits de l’homme ».

Cette circulaire ministérielle de février 2003 est un texte de référence ambitieux en matière d’éducation sexuelle puisqu’il s’agit de rien moins que d’apprendre à identifier et à intégrer les différentes dimensions de la sexualité humaine, biologique, affective, psychologique, juridique, sociale, culturelle et éthique ; et de développer l’exercice de l’esprit critique.

On ne saurait trop souligner par ailleurs que cela peut et doit être mis en œuvre dans le cadre même des enseignements en classe, dans différentes disciplines : « Les programmes des différents champs disciplinaires (tels que la littérature, l’éducation civique, les arts plastiques, la philosophie, l’histoire, l’éducation civique juridique et sociale.. ) offrent, dans leur mise en œuvre, l’opportunité d’exploiter des textes et des supports en relation avec la sexualité selon les objectifs précédemment définis ».

Les établissements catholiques sous contrats (c’est à dire presque tous) vont donc se retrouver avec deux textes de références en matière d’éducation sexuelle. On le sait, le principe de base de la loi Debré régissant les établissements privés sous contrat est que l’établissement a un caractère « propre » (2), mais que l’enseignement (donné dans les classes) doit être le même que dans les établissements publics.

En principe donc, le texte d’orientation du 17 avril 2010 de l’enseignement catholique devrait être la référence pour le caractère « propre » de l’établissement. Et la circulaire ministérielle du 17 février 2003, le texte de référence pour l’enseignement donné dans les classes des établissement catholiques sous contrats.

Mais est-il vraiment possible que « l’orientation » du texte sur l’éducation sexuelle (c’est un texte dit d’’’orientation’’) préconisée par les dirigeants de l’enseignement catholique pour les établissements ne diffuse pas aussi dans l’enseignement proprement dit, dans les classes des établissements catholiques sous contrat ? Si l’enseignement catholique a promulgué ce texte, c’est sans aucun doute que la référence du texte ministériel ne lui convient pas vraiment.

Et il y a bien, dans le document, la revendication explicite d’un projet spécifique : « Le projet spécifique de l’Enseignement catholique attaché à la formation intégrale de la personne humaine, réfère l’éducation affective, relationnelle et sexuelle à une vision chrétienne de l’anthropologie et l’inscrit dans une éducation plus large à la relation qui concerne tout le parcours scolaire ».

« Tout le parcours scolaire ». Dans l’établissement catholique (hors les classes), ou bien dans les classes également ? Quid du cadre de la loi Debré pour les établissements sous contrats ?

Texte de Claude Lelièvre, sur son blog dans Médiapart

(1) Extraits du document « l’éducation affective, relationnelle et sexuelle dans les établissements catholiques d’enseignement »

Le texte complet n’est plus disponible : preuve de l’incertitude des responsables de l’enseignement catholique quant à la validité juridique de ce texte, en contradiction avec la loi Debré et avec tous les textes qui fondent le droit des établissements privés sous contrat ?

(2) caractère « propre » des établissements privés sous contrat avec l’État. Il n’est jamais défini dans tous les textes législatifs.
La « Congrégation pour l’Éducation Catholique » le définit ainsi : « L’école partage la mission évangélisatrice de l’Église et est un lieu privilégié où se réalise l’éducation chrétienne »(28 décembre 1997).

On le voit, cette vision est clairement prosélyte et contrevient à un principe constitutionnel, rappelé dans la loi Debré : cet enseignement doit être donné dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyances, y ont accès.

Or la loi définit précisément cette « liberté de conscience » : La liberté de conscience désigne une autonomie “morale” : elle est le droit pour un individu de se déterminer dans ses convictions philosophiques, religieuses, idéologiques, politiques, etc., en dehors de toute pression extérieure, qu’elle soit familiale, sociale ou politique. .

C’est donc bien l’ensemble du texte « l’éducation affective, relationnelle et sexuelle dans les établissements catholiques d’enseignement » qui porte atteinte à la liberté de conscience des élèves et, in fine, des enseignants des établissements privés sous contrat.
En conséquence, le SUNDEP s’opposera à son application.