Malgré Parcoursup, les impasses d’une orientation libérale !

vendredi 16 juillet 2021


A l’heure où se résolvent, parfois dans la douleur, les décalages entre demandes et offres d’orientation sur Parcoursup, les responsables de certaines filières s’émeuvent, une fois de plus, de l’afflux des candidats dans leur discipline, jusqu’à évoquer explicitement des risques de fermeture par manque de moyen.

le 16 juillet, Par Marie DURU-BELLAT, Alternatives Economiques

C’est le cas en Staps, et cela n’étonne guère puisque les effectifs y ont été multipliés par cinq depuis 1990. On ne saurait alors esquiver la question de savoir s’il faut, et jusqu’où, entériner cette demande étudiante et la traduire par la création de postes.

Ce serait certes une aubaine pour la recherche en Staps (puisqu’on recrute des enseignants-chercheurs), mais en serait-ce vraiment une du côté des étudiants ? Les débouchés de cette filière se sont diversifiés au-delà du seul professorat ; on peut se réjouir de la multiplication des coachs en tout genre et des salles de sport, et il n’y a par ailleurs pas de honte à être vendeur dans les grandes surfaces de sport qui ont fleuri, elles aussi. Et puis, au nom de quoi barrer ces étudiants qui profitent d’un « droit à l’éducation » rappelé par leurs syndicats, qui aiment le sport, et qui ne se voient guère dans les autres filières du supérieur ?

Au prix d’un déclassement...

Pourtant, quitte à poser une question qui fâche, on peut se demander si les bénéfices sociaux et économiques qu’est censé apporter le développement de cette filière sont si évidents. Cette interrogation qui justifie que l’argent public finance le supérieur se pose évidemment pour bien d’autres domaines, et ce alors même que certains d’entre eux sont sans doute susceptibles de générer des bénéfices bien plus forts. A commencer par les nouveaux secteurs scientifiques et technologiques liés à la transition écologique… Peut-on écarter d’un revers de main les statistiques de l’emploi qui font apparaître des manques criants de main-d’œuvre dans certaines activités ?

Rappelons que dans la dernière enquête « Besoins en main-d’œuvre » de Pôle emploi, figurent dans le top 10 des métiers les plus recherchés des emplois considérés comme peu qualifiés – dans l’hôtellerie, l’aide à la personne, le gardiennage ou le bâtiment –, à l’exception des ingénieurs et cadres de l’informatique. Il faut également compter avec la fonction publique qui, quand elle recrute, accueille beaucoup de diplômés, sans ignorer toutefois qu’elle reçoit aux concours des jeunes qui pour 90 % d’entre eux ont bien plus que le niveau d’études théoriquement requis.

Face à ces considérations connues de tous, soit on admet qu’accueillir plus de migrants est une nécessité, soit on ferme les yeux sur le fait que nombre de ces jeunes qui suivent leurs préférences du moment dans le supérieur finiront par s’insérer, au prix d’un déclassement, dans ces emplois-là. Même s’il y a encore des polémiques sur les chiffres, la réalité du déclassement des diplômes (le fait qu’on accède à des postes moins élevés à diplôme donné, par rapport à une vingtaine d’années ou à ce qu’on espérait) ne fait plus débat, notamment à certains niveaux d’études comme le bac ou même la licence.

Alors que les lycéens et les étudiants savent se mobiliser efficacement, tout se passe comme si on laissait faire le marché. A charge pour le marché de l’emploi en l’occurrence de régler le problème une fois qu’ils sont dispersés dans la vie dite active ! Il est certain que dans un pays riche, allouer de l’argent pour satisfaire les goûts des jeunes permet une certaine paix sociale. Mais le jour où les syndicats d’étudiants, au-delà du droit aux études, mettront sur le devant de la scène un droit à l’emploi (certains le font déjà), voire un droit à un emploi correspondant à leur spécialité, les impasses de cette politique libérale apparaîtront au grand jour…

Triomphe du laisser-faire

Cette question de l’adéquation entre emplois et offre de diplômés n’est pas nouvelle et elle est terriblement délicate. On le sait pourtant, elle n’existe pas pour beaucoup d’emplois, ouverts à des profils très larges. Près de la moitié des emplois sont des métiers où le lien avec une formation donnée est lâche ou des métiers dont les voies d’accès sont diversifiées (ou accessibles en cours de carrière).

On peut éluder cette question par une course en avant. Aujourd’hui, l’Europe et bien des économistes défendent un développement du supérieur – 50 % d’une classe d’âge au niveau du supérieur – sans entrer dans le détail des spécialités de formation comme si ce n’était pas là un aspect décisif. La plupart des pays font de même et forment quantité de jeunes à ce niveau. Ces diplômés seront à même d’occuper des postes qualifiés parfaitement délocalisables, alors que par ailleurs les besoins les plus criants se situent dans des emplois qui ne le sont pas, sans compter le retour possible, avec la transition écologique, d’emplois considérés comme peu qualifiés aujourd’hui délocalisés.

Peut-être faut-il voir là aussi un effet de position : les élites placent leurs enfants dans les filières sélectives, dont elles sont elles-mêmes issues, pour leur plus grand bénéfice. En France, l’insertion et le salaire de ceux qui sortent des grandes écoles sont particulièrement intéressants par rapport aux « simples » diplômés de l’université. Quant à ceux qui arguent que les diplômés constituent un aiguillon pour la création d’emplois censés leur correspondre, il semble qu’ils aient en tête avant tout les filières scientifiques ou informatiques, oubliant que plus des trois quarts des jeunes des universités ne sont pas dans ces filières…

Mais c’est avant tout l’embarras qui explique ces regards détournés. Car personne ne sait vraiment ni comment réguler le développement des filières du supérieur, tant l’avenir du travail semble incertain, ni comment en réguler l’accès, si tant est que des grandes masses aux effectifs raisonnables puissent être définies. Alors, autant demander qu’on ouvre les vannes et on verra… Le laisser-faire triomphe donc même si on préserve, telles des chasse-gardées, certaines filières sélectives.