Histoire de l’art à l’école : confusion et absence de moyens

jeudi 15 mai 2008


Les gouvernements de droite, depuis 2002, cherchent dans l’enseignement artistique à satisfaire des électeurs conservateurs épris de culture.

Ils ont donc annoncé des plans successifs qui visent à promouvoir à tous les niveaux du système éducatif l’histoire de l’art.

Cette approche relève plus du supplément d’âme « bourgeois » : activité culturelle plus que pratique artistique, logique patrimoniale plus qu’art vivant.
L’approche sociale est aussi en panne : est-on sûr qu’on va attirer vers l’art des jeunes des milieux populaires en ne leur balançant que des connaissances abstraites par rapport à des codes qu’ils ne maîtrisent pas ?

D’autre part, l’absence de moyens va conduire à un enseignement appauvri, dispensé par des profs ne disposant pas des compétences requises ...

D’autant que, dans le même temps, le nombre des postes aux concours des disciplines artistiques est considérablement réduit, et que le ministère invite les collectivités locales à organiser l’encadrement d’activités.

Le bilan est simple à tirer : le gouvernement vise à la disparition des matières artistiques dans un cadre scolaire, et à leur prise en charge financière par les collectivités locales, au détriment de la qualité des enseignements et du statut des personnels.

Ci-dessous état des lieux par Le Monde de « réformes » en plus particulièrement brouillonnes.

A quelques mois de son entrée officielle dans les écoles, l’histoire des arts fait l’objet d’intenses spéculations. En septembre, cette nouvelle discipline, voulue par le président de la République, fera son apparition dans toutes les classes du primaire. L’année scolaire 2009-2010, les collèges lui ouvriront ses portes.

Pourtant des syndicats aux associations disciplinaires et aux différents services du ministère, un épais brouillard semble recouvrir ce vaste chantier.

Depuis six mois, les documents n’ont pas manqué. En décembre 2007, l’inspecteur général Eric Gross a fourni une série de propositions. Le 30 janvier, les ministres de l’éducation et de la culture, Xavier Darcos et Christine Albanel, ont présenté au conseil des ministres leurs conclusions.

Depuis lors, les programmes de l’école primaire ont été officiellement dévoilés, ceux du collège ouverts à la concertation. Enfin, le 8 mai, la circulaire d’orientation spécifique a été publiée au Bulletin officiel (BO) de l’éducation nationale. Avec toujours le même sentiment de flou.

FAIRE SAUTER LES CLOISONS

Les contours sont pourtant définis. Pas question de limiter cet enseignement à la classique et très universitaire « histoire de l’art » (peinture, sculpture, architecture). La musique, mais aussi les arts de la scène (théâtre, danse), de la rue, la photographie, le cinéma, le design, l’urbanisme sont convoqués au banquet.

Pas question non plus de lui attribuer un horaire spécifique ou un corps particulier d’enseignants. Destiné à tous les élèves, il devra être porté par tous les professeurs, invités à faire sauter les cloisons disciplinaires pour travailler ensemble.

Enfin, pour faire acquérir aux élèves les « repères historiques et méthodologiques indispensables », les enseignants devront s’appuyer avant tout sur les œuvres. Une façon de privilégier une approche sensible et d’éviter un enseignement exclusivement théorique et magistral.

Trois grands principes, donc, a priori acceptables. Qui viendrait contester à la musique ou au cinéma son importance historique ? Qui ne verrait l’apport des lettres, de l’histoire ou même des sciences à la compréhension d’un mouvement comme le surréalisme ? Qui oserait reléguer au second plan la sensibilité des élèves ? Mais rien n’est simple à l’éducation nationale.

Le contexte budgétaire et une série d’annonces contradictoires sont venus brouiller le message.
Ce furent d’abord deux chiffres, annoncés par les ministres : au collège, l’histoire des arts représentera 25 % des horaires d’histoire et 50 % des heures d’éducation artistique. Habitués des programmes surchargés, les historiens ont haussé les épaules. Mais les professeurs de musique et d’arts plastiques sont tombés des nues.

« Pourquoi 50 % ? D’où sort ce chiffre ?, s’interroge Yolande Barbier, présidente de l’Association des professeurs de musique. Nous n’avons jamais été consultés. L’histoire des arts, nous ne sommes pas contre. Replacer une oeuvre dans son contexte historique, géographique, social, nous l’avons toujours fait. Mais 50 % ? Quelle place laisse-t-on à l’expérience, à la pratique ? »

Ce fut ensuite la première mouture des nouveaux programmes de l’école, mise en ligne le 20 février. Derrière une définition très traditionnelle, le texte énumérait, pour chaque période historique, une série d’oeuvres dans laquelle « le maître » devait « puiser ». Cette fois, le grondement a été général.

Les profs ont dénoncé leur infantilisation. Les inspecteurs généraux et hauts fonctionnaires ont critiqué le contresens. « C’était absurde, tempête encore Philippe Joutard, ancien recteur et membre de la commission qui a conçu le dispositif d’histoire des arts. Nous nous escrimons à promouvoir l’initiative des enseignants et l’autonomie des élèves et, là, on faisait exactement l’inverse. » La liste a été supprimée de la version publiée le 29 avril. Mais l’épisode a laissé des traces.

LE SILENCE DU MINISTÈRE

Ce furent enfin les annonces de suppressions de postes et d’options dans l’enseignement secondaire. " L’objectif est clair : faire disparaître notre discipline de l’éducation nationale, s’emporte Danièle Salamand, présidente de l’Association des professeurs d’arts plastiques.

On confie l’histoire des arts à tous les profs, les pratiques artistiques à des intervenants extérieurs, on multiplie les partenariats avec les collectivités territoriales... Le plan d’attaque est prêt. Ensuite, on pourra conformer les élèves à l’industrie culturelle locale. « Pour preuve, insiste-t-elle, la nouvelle épreuve d’enseignement artistique proposée au brevet. Selon le BO du 8 mai, les élèves pourront » valoriser une pratique personnelle, développée dans ou en dehors de l’école ".

Autant d’inquiétudes encore amplifiées par le silence du ministère de l’éducation. Les nouveaux programmes d’histoire, de lettres et d’enseignements artistiques au collège, mis en concertation fin avril, sont tous teintés d’histoire des arts. « Mais nous ne disposons d’aucun texte de cadrage », regrette-t-on au SNES.

Un document de 11 pages, que le Monde a pu consulter, a pourtant été rédigé par la commission chargée du projet. De portée assez générale, aurait-il pu rassurer les enseignants ? On ne le saura pas. La direction des enseignements scolaires a décidé, contrairement aux autres programmes, de ne pas le publier pour concertation. « On entretient la confusion et la méfiance », soupire Roland Hubert, chargé des programmes au SNES. « On crée des problèmes inutiles », s’étonne l’ancien recteur Joutard.

Nathaniel Herzberg, Le Monde du 14 mai 2008